Tuteur de leur gloire, je ne laisserai pas périr leur nom.
Napoléon[1].
Cet engagement pris vis-à-vis des héros de son épopée allait obliger l’Empereur à intervenir tout au long de son règne dans le processus de transmission des noms et de leurs accessoires, comme les titres héréditaires, puis les dotations, ces pensions d’Ancien Régime rendues irrévocables et transmissibles de génération en génération.
De fait, tout au long de l’Empire, nous trouvons trace de ses interventions individuelles pour corriger en l’espèce les effets de la nature ou la brutalité de l’histoire. À titre de curiosité, on retiendra la succession du général comte Dorsenne, assurée en 1812 par une adoption post mortem. De même, le statut des filles aînées, décrété le 7 juin 1813, au lendemain de la mort de Duroc, pour donner à la première d’entre elles la faculté de transmettre à son mari les honneurs héréditaires de son père. Toutes ces dispositions individuelles ou collectives restaient axées sur le culte de l’héroïsme à partir de la seule postérité naturelle ou adoptive du héros.
C’est au retour de la campagne de Russie que l’Empereur prit conscience d’un autre aspect de la disparition en masse de ses héros militaires, à savoir la ponction faite sur les élites de la Nation, soutiens du régime et piliers de la patrie. Dans ces conditions, on ne pouvait plus se permettre d’en rester au seul devoir de mémoire et attendre la génération suivante pour procéder à la relève, lorsque le héros était mort au champ d’honneur et sans descendance. Alors, avec le regard que l’on avait sur la famille et sa capacité à reproduire les modèles, on en vint à lier culte des héros et renouvellement immédiat des élites en faisant appel aux collatéraux, les frères puis les neveux. Pour légitimer cette extension, il serait fait appel au rejaillissement du sacrifice du sang sur la descendance du père du héros. Par priorité, on admit les frères et s’il y avait empêchement, l’aîné des neveux.
S’agissant maintenant du renouvellement des élites et de leur engagement aux côtés du pouvoir, le gouvernement voulait prendre ses garanties pour l’avenir. Les successeurs majeurs devaient pouvoir répondre de celui-ci en fonction de leur passé. Mais les mineurs devront trouver un parrainage parmi les hauts gradés de l’Empire. C’est ainsi que les collatéraux jusqu’au quatrième degré furent admis à la succession des héros morts à l’ennemi dans leurs honneurs héréditaires, titres et dotations.
Ce fut, semble-t-il, l’objet de l’ordre particulier signé de l’Empereur le 1er mars 1813 à son ministre d’État chargé du Domaine extraordinaire, le comte de Préameneu, responsable notamment de l’affectation des dotations. Cet ordre reste malheureusement introuvable à ce jour, mais les références auxquelles procède le ministre dans sa correspondance avec l’Empereur permettent d’en déduire certaines dispositions. Il s’agissait dans un premier temps de déceler parmi les dotations faisant retour au Domaine, celles qui avaient été attribuées à un héros mort à l’ennemi, puis d’enquêter sur leur famille afin de repérer son aptitude à la succession au troisième ou quatrième degré de filiation par rapport au héros. Venait alors la proposition faite par le ministre à l’Empereur. L’intention de celui-ci étant recueillie, on sollicitait le chef de famille pour qu’il rédige sa demande au nom de l’impétrant. Dans l’hypothèse où il s’agissait d’un mineur au quatrième degré, le ministre devait recueillir le parrainage d’un grand officier de l’Empire : sénateur, maréchal, grand officier de la Cour ou dignitaire. C’est alors que l’Empereur signait par décret individuel le transfert des honneurs héréditaires, titres ou dotations sur la tête du collatéral désigné par sa famille.
On trouvera ci-dessous quelques exemples relevés en 1813, avec les dates de leurs décrets :
Nom du héros | Titre | Dotation (francs) | Successeur | Annonceur |
Décret |
Bruneteau | Baron | 4 000 | Neveu | Sénateur de Sainte-Suzanne | 5 mars 1813 |
Huard | Baron | 4 000 | Frère | 1er juillet 1813 | |
Fournier | Baron | 4 000 | Frère | 28 septembre 1813 | |
Sarrut | Baron | 4 000 | Neveu | Sénateur de Valence | 6 novembre 1813 |
Crépy | Chevalier | 1 000 | Neveu | Duchesse de Montebello | 6 novembre 1813 |
Leblond | Chevalier | 2 000 | Frère | 13 novembre 1813 | |
Mignot | Baron | 10 000 | Neveu | 4 décembre 1813 |
Chacun des décrets précise que les dévolutions qu’ils contiennent devront suivre, quant à la possession et la transmission, les statuts et règlements des majorats. On fera remarquer ici que l’esprit de ces décisions était de perpétuer par une famille le nom de celui qui l’avait illustrée et qu’ainsi la dévolution s’inscrivait dans la filiation masculine, et par primogéniture, du père du héros.
L’ordre particulier préfigurait-il un décret statutaire du type « héros de Lützen et Bautzen » ? Toujours est-il que l’envahissement du territoire et la limitation des pouvoirs de la Régente ne le permirent pas. Peut-être inspira-t-il, après l’hécatombe de 1914, la loi de 1923 sur le relèvement des patronymes des morts à l’ennemi sans postérité masculine ?
Régis de Crépy.
Bulletin de l’AHH, n° 56, 2014.
[1] Emmanuel de Las Cases, Mémorial de Sainte-Hélène, Paris, Points Seuil, 1968, p. 246.