Cette juxtaposition peut paraître osée. Nous la devons à une américaine : Alma Spreckels.
Née en 1881 à San Francisco, d'une famille américaine pauvre, son nom de jeune fille ne laisse aucun doute sur ses origines, qui influeront d'ailleurs largement sur ses comportements futurs : Elma Charlotte Corday Le Normand de Bretteville.
Mais à 27 ans, elle épouse Adolph Spreckels.
Bien longtemps avant, son beau-père Claus Spreckels, au cours d'un voyage à Hawaï, s'était lié d'amitié avec le roi Kalakua et lui avait gagné, au poker, une grande partie de l'île de Maui avec ses champs de canne à sucre.
Rapidement, sur l'île comme à San Francisco, des raffineries surgissent et Claus Spreckels y gagne le titre de " Roi du Sucre ". Adolph héritera de tout et les moyens d'Emma, devenue Alma, se transforment considérablement avec son mariage.
Tout à fait indépendamment, en 1915, la Panama Pacific Exposition célèbre, à la fois, l'ouverture du Canal de Panama par les Américains et la renaissance de San Francisco, presque entièrement détruit lors du terrible incendie de 1906.
Exposition internationale, la France y construit son pavillon, qui est la copie de l'Hôtel de Salm, bâti en 1786 à Paris et qui deviendra le Palais de la Légion d'Honneur.
Alma Spreckels en tirera l'idée de solliciter du gouvernement français l'autorisation d'édifier une réplique agrandie du Palais parisien pour y créer un musée de l'art français en Californie.
Ancien élève de l'Ecole des Beaux Arts à Paris, George Applegarth en sera l'architecte.
Il construira le California Palace of the Legion of honor (imprononçable !!) au sommet d'une colline du Lincoln Park dominant le détroit du Golden Gate. Terrain donné par la municipalité de San Francisco.
Pour l'anniversaire de l'Armistice, le 11 novembre 1925, à l'inauguration de ce monument dédié aux milliers de soldats californiens tombés en France, Alma a invité les Maréchaux Joffre et Foch. Elle a obtenu des archives militaires l'identité et le lieu d'origine de tous les tués. Leur nom figure sur un Livre d'Or que signent les deux Maréchaux.
Outre un important apport personnel d'œuvres d'art, Alma Spreckels s'est intéressée à son musée, dont elle s'occupera jusqu'à sa mort en 1968, un grand nombre de donateurs, dont le gouvernement français et Archer M. Huntington.
Et Jeanne d'Arc ? Me direz-vous, impatients. A l'extérieur et à distance de la façade frontale du Palais, deux statues de bronze l'encadrent sur les pelouses.
L'une rappelle les origines espagnoles de San Francisco avec la représentation de Rodrigo Diaz de Vivar, dit le Cid. Non qu'il soit jamais venu jusque là, puisque contrairement à l'idéal de sa jeunesse exprimé par Corneille, il se mettait à 38 ans au service des musulmans jusqu'à sa mort, 18 ans plus tard. Il reste néanmoins une grande figure de l'Histoire de l'Espagne.
L'autre monument est une belle statue à l'épée, de Jeanne d'Arc à cheval, debout sur ses étriers.
Comme il est précisé sur son socle, c'est un don d'Archer M. Huntington, un des généreux soutiens d'Alma Spreckels. S'il avait réalisé une fortune considérable dans la construction des chemins de fer, il avait aussi épousé Anna Vaughan Hyatt en 1923. Or c'est au sculpteur Anna Hyatt qu'est due la statue de Jeanne d'Arc.
L'ayant présentée au Salon de 1910, à Paris, Miss Hyatt obtenait une mention honorable et était élevée au grade d'Officier des Palmes Académiques par le gouvernement français. Plus tard elle sera nommée chevalier de la Légion d'honneur.
Le 6 décembre 1915 la statue était inaugurée à Manhattan au cours d'une grande fête qui voulait marquer la solidarité du peuple new-yorkais avec celui de la France déjà en guerre.
La réplique du Palais de la Légion d'honneur à San Francisco fut la dernière installée, puisqu'en 1922 la statue de Jeanne d'Arc par Anna Hyatt trouvait aussi sa place dans un jardin public de Blois en Loir et Cher.
Oserions-nous nous attarder sur les Initiales d'Anna Hyatt Huntington ?
J. de La Ville-Baugé (AHH 294)