La visite de l’AHH à Notre-Dame-de-la-Légion-d’Honneur à l’occasion de la réunion de son assemblée générale 2018 à Longué-Jumelles a été pour la plupart des membres présents l’occasion de découvrir un édifice religieux, certes sans grand intérêt architectural, mais très curieusement placé sous le patronage de Notre-Dame de la Légion d’honneur.
L’histoire de cette association de la mère de Jésus au premier ordre national est intéressante à au moins deux titres. Tout d’abord elle rappelle que la Légion d’honneur n’est pas simplement une décoration militaire mais qu’elle vient aussi récompenser d’authentiques actes de dévouement civil, ici ceux d’un modeste curé de campagne, l’abbé Justin Massonneau, qui prit la tête des secours à Longué après que la Loire, sortant de son lit, eût noyé les moissons, englouti les maisons, menacé la population. Ensuite, elle est un émouvant témoignage de ce que l’unité et la solidarité au service de l’action, en l’occurrence celles des membres de la Légion d’honneur répondant à l’appel d’un des leurs pour concourir à l’érection d’un lieu de culte, sont des puissants facteurs de succès.
Authentiques actes de dévouement civil
À Longué, tout commence par la rencontre d’un ambitieux projet de construction d’une nouvelle église qui se fracasse contre les effets d’une inondation dévastatrice.
La vieille église de Longué, construite au xiie siècle, menaçait ruine et ne suffisait plus à accueillir les paroissiens d’un bourg de plus de quatre milles âmes. En 1848, le desservant de l’église, l’abbé Hubert, acheta deux parcelles de terre sur un emplacement central et dominant, le conseil de fabrique de la paroisse décidant la construction d’une nouvelle église sur ce promontoire. L’église commençait à sortir de terre, mais les concours financiers ne suivaient pas : le conseil municipal avait refusé de participer aux travaux, inappropriés à son goût, les dons n’affluaient pas et les dettes s’accumulaient ! L’abbé Hubert, fatigué par l’ampleur de la tâche, tomba malade et succomba en septembre 1851. L’évêque d’Angers nomma alors pour lui succéder l’abbé Justin, Marie, Barthélemy Massonneau. Celui-ci, qui venait de construire à Trélazé une nouvelle église, reprit en le modifiant le projet initial, usa tant et si bien de persuasion qu’il s’assura du concours de la municipalité et, montant à Paris, obtint un secours du ministère des Cultes, consolidant dans le même temps le soutien du conseil de fabrique. La bénédiction de la première pierre était fixée au dimanche 8 juin 1856. Las, le 4 juin, un long tocsin résonna sans discontinuer de Saumur à Angers : la Loire avait rompu en maints endroits la levée canalisant son cours, plongeant sous les eaux tout le val de Loire. À Longué, des vieillards, des infirmes, des malades, des femmes seules, des enfants, des ouvriers, des paysans dans leurs champs, toute une population fut prise au piège. L’abbé Massonneau se révéla, au sens presque propre du terme, un pêcheur d’hommes. Il se démena sans compter, souvent au péril de sa vie, en charrette puis en barque, pour secourir ses paroissiens isolés dans la campagne inondée et assaillis par des flots montants et souvent violents. L’héroïsme de l’abbé Massonneau fut rapidement salué par tous et, en avril 1857, il fut nommé chevalier de la Légion d’honneur : « En raison de votre belle conduite pendant les inondations, du dévouement dont vous avez fait preuve, des services que vous avez rendus, Sa Majesté l’Empereur a daigné vous accorder une récompense exceptionnelle en vous nommant chevalier de la Légion d’honneur ». Marchant dans les pas de son oncle, le premier consul Bonaparte, l’Empereur récompensait un acte civil de dévouement particulièrement remarquable. Comme l’écrivit à l’abbé Massonneau un militaire, le chef de bataillon Mocquesis, « vous êtes brave par le baptême de l’Eau qui vaut celui du Feu ».
Unité et solidarité au service de l’action
Mais la crue avec son cortège de destruction semblait aussi devoir mettre un terme définitif à la poursuite des travaux de construction de la nouvelle église. Comment demander des subsides à tant de paroissiens à demi ruinés que le pauvre abbé devait, au contraire, secourir, loger, nourrir ?
À ce moment, l’abbé Massonneau se souvint de la réponse du curé d’Ars qu’il avait fait interroger par une de ses paroissiennes sur la probabilité qu’il réussisse à faire bâtir la nouvelle église : « rassurez votre bon curé, son église se bâtira, mais il lui faudra l’aide de grands personnages ». Un jour, raconte lui-même l’abbé, « en présence du Seigneur, je réfléchissais sur les moyens auxquels je pourrais avoir recours pour compléter le temple que nous étions parvenus, avec tant de peine, à édifier à sa gloire, et voilà qu’il me vint à la pensée de faire appel à tous ceux dont j’étais devenu le collègue en ruban rouge. Cette idée, une fois implantée dans mon esprit, ne put en sortir. Il me semblait à chaque instant qu’une voix intérieure me poussait, me disant : aie confiance, marche ! »
C’est ainsi que l’abbé Massonneau décida de solliciter ses camarades membres de l’Ordre de la Légion d’honneur. Les militaires, tout d’abord, pour la commande des vitraux : par centaines les soldats de toutes les armes et de tous grades répondirent à son appel accompagnant le plus souvent leur don d’un message d’encouragement et de reconnaissance et d’une demande de prière : « veillez pour nous, veillez dans la prière ».
On peut citer cette lettre de Bergasse du Petit-Thouars, lieutenant de vaisseau, officier d’ordonnance du ministre de la Marine :
Monsieur le Curé et cher Collègue…
C’est avec un double plaisir que je réponds à votre appel, d’abord parce qu’il est toujours agréable de faire une bonne œuvre, et ensuite parce qu’elle est destinée à orner une église située dans un pays qui est le berceau de ma famille.
Adieu et merci, Monsieur le Curé, et, lorsque vous prierez Dieu, n’oubliez pas les marins.
Trois sous-officiers de cuirassiers écrivirent encore : « N’ayant pas l’honneur d’être chevaliers, nous sommes trois pauvres soldats ayant aussi bonne envie de donner notre offrande ; elle est faible, il est vrai, mais nous savons d’avance que vous accepterez aussi bien quelques journées de solde de trois militaires que l’or des riches ».
Après les légionnaires à titre militaire, l’abbé Massonneau sollicita les décorés à titre civil, qui répondirent eux aussi à son appel.
Cet intérêt manifesté par tant de personnalités pour la construction de l’église stimula les bonnes volontés et bientôt ce faisceau de concours permit l’achèvement du gros œuvre puis de la décoration de l’église et enfin l’achat du mobilier. C’est ainsi que l’église put être consacrée le 3 juillet 1860 par l’archevêque de Tours, assisté des évêques d’Angers, du Mans, de Limoges, de Sées, et placée, en remerciement pour l’aide efficace que l’abbé Justin Massonneau reçut de ses camarades en chevalerie, sous le parrainage de Notre-Dame de la Légion d’honneur.
L’abbé Massonneau, avec cette idée de requête aux décorés de la Légion d’honneur et son effet de boule de neige, fut l’artisan d’une sorte de multiplication des pains ou d’une autre pêche miraculeuse, témoignages sur la vie de Jésus que nous relatent les Évangiles. L’union des décorés de la Légion d’honneur autour de leur collègue légionnaire favorisa un élan de générosité : des restes d’une vieille église menaçant ruine, de la catastrophe d’une inondation, l’appel d’un homme à la Vierge Marie et sa foi dans l’esprit de droiture, de fidélité, de service et d’honneur de ses camarades légionnaires, suffirent à relever une église qui, au-delà des paroissiens de Longué, demeure un symbole fort pour tous les légionnaires habités par le service de la Patrie et la vocation de la France.
Une église emblématique pour tous les légionnaires
Car la croix de la Légion d’honneur est partout dans l’édifice : dans les verrières, à la pointe de l’ogive des fenêtres, au cœur des rosaces et de certains vitraux. La Légion d’honneur s’est aussi faite ostensoir, œuvre du joaillier Mellerio, qui porte en son cœur le corps du Christ. Après la Seconde Guerre mondiale, une statue de Notre-Dame-de-la-Légion-d’Honneur, portant sur la poitrine une croix de la Légion d’honneur, fut érigée à l’entrée du village. À cette église si particulière il fallait une prière ; c’est le père Emmanuel Duché, aumônier des armées, qui l’écrivit dans les années 2010. Cette prière à Notre–Dame de la Légion d’honneur pourrait être celle de tous les légionnaires de bonne volonté.
On comprend ainsi le caractère si emblématique de cette église dédiée à Notre-Dame de la Légion d’honneur, et pourquoi il lui vaut depuis 1860 un fort attachement des membres de la Légion d’honneur comme le montre plus spécifiquement le passage à Longué de nombre de ses plus hauts dignitaires.
Ainsi, près de nous, le général Catroux, grand chancelier de la Légion d’honneur, assista en 1960 au centenaire de la consécration de l’édifice. Le général Alain de Boissieu, son successeur au Palais de Salm, inaugura la restauration de l’orgue en 1980, léguant même à l’église, en souvenir de son passage et pour honorer Notre-Dame de la Légion d’honneur, la croix de chevalier que le général de Gaulle lui avait remise en 1945 !
En 2002, dans le cadre des festivités organisées pour commémorer le bicentenaire de la création de l’ordre de la Légion d’honneur, le général Douin, alors grand chancelier de l’Ordre, prononça dans l’église Notre-Dame de la Légion d’honneur, à l’issue de la cérémonie religieuse, une allocution d’une profonde sensibilité chrétienne et d’une belle érudition qui marqua fortement les esprits en ce qu’elle célébrait la glorieuse association de Marie et de la Légion d’honneur comme le renouvellement à ses yeux et du vœu de Louis XIII de 1638 et de la consécration du mois de mai au Rosaire depuis la bataille de Lépante de 1571.
Le 26 mai 2018, ce sont les membres de l’AHH qui visitèrent Notre-Dame-de-la-Légion-d’Honneur sous la conduite savante du président d’honneur de l’Association des amis de Notre-Dame-de-la-Légion-d’Honneur, M. Pierre Girot, et qui comprirent pourquoi l’abbé Massonneau avait proposé à son évêque de consacrer la nouvelle église de Longué à Marie, Notre-Dame de la Légion d’honneur, tant il est vrai que la Vierge Marie, qui lors de l’Annonciation répondit « je suis la servante du Seigneur », peut être regardée par les légionnaires comme un exemple radical de l’humble service, celui qu’eux-mêmes vouent à leur pays et à leurs compatriotes.
Éric Peuchot.
Administrateur de l’AHH.
Bulletin de l’AHH, n° 60, 2019.