À quelques jours de son 75e anniversaire, le général Jean-Louis Georgelin est mort en montagne lors d’une randonnée en solitaire. Le choc de l’information de son décès a bouleversé la vie de beaucoup de ses amis, mais comme je pense être parmi ceux qui l’ont très bien connu, il me revient ici d’écrire quelques lignes de souvenir sur celui qui est mon ami depuis près de soixante ans.
Il était mon voisin de lit dans le dortoir du Prytanée militaire, et j’ai partagé sa table pendant de longues années. Lui était entré au début des études secondaires en sixième et connaissait tout des mœurs de cette école. Réservé et discret, malgré l’image qu’il donne à la fin de sa vie, Jean-Louis Georgelin était un garçon discret, parfois impénétrable. L’élève du Prytanée militaire de La Flèche, le brution selon le terme traditionnel, était plutôt taciturne et ne se mêlait guère aux festivités et chahuts de classe.
En math. sup., il a eu le premier contact avec la Légion d’honneur par l’intermédiaire de la Maison d’éducation de la Légion d’honneur de Saint-Denis. Notre classe s’est trouvée jumelée avec la classe des math. élem. des jeunes filles et nous avons été quelquefois accueillis à la descente du train par une aimable cohorte. Plus tard comme grand chancelier, il se souviendra de ces moments partagés avec ces jeunes filles, élevées comme nous dans un souci d’excellence, mais bien plus policées que les élèves du bahut.
Admis à la « Spéciale » c’est-à-dire à Saint-Cyr, avec ce qui deviendra la promotion Lieutenant-Colonel-Brunet-de-Sairigné, il restait très discret au sein de la promotion.
À l’issue de sa scolarité, il choisit l’infanterie, ce qui était naturel pour lui qui était déjà un marcheur intrépide et qui le restera toute sa vie. Au 9e régiment de chasseurs parachutistes puis au 153e régiment d’infanterie, il était le pur fantassin qu’il a finalement toujours voulu être. C’est à ces moments qu’il a véritablement émergé de l’ensemble de ses camarades.
Il gravit par la suite tous les échelons d’une brillante carrière pour arriver aux plus hauts sommets de la hiérarchie militaire. Il était apprécié de beaucoup de ceux qu’il rencontrait. D’abord par sa promotion, qui l’avait choisi comme président lorsqu’elle s’était constituée en association. La plupart de ses proches collaborateurs lui vouaient une reconnaissance fidèle et parfois une grande amitié. De plus, les cyrards de la promotion Cadets-de-la-France-Libre, dont il était le commandant de bataillon, lui vouent encore une admiration profonde et réelle. Pour l’anecdote, c’est à l’occasion de ce séjour à Coëtquidan qu’il s’essaya au théâtre, ce qui correspondait au caractère profond de sa nature. Jouer un personnage lui permettait de sortir de lui-même et de ses inquiétudes.
Pour d’autres, plus éloignés de lui sans doute, il était insupportable, mais son exigence sans concession et son autorité cassante ne pouvaient pas lui amener que des amis.
Ces compétences étaient indispensables au chef suprême qu’il fut, et à la rénovation de l’hôtel de Salm comme grand chancelier. Un grand travail de recherche de mécènes lui a permis de refaire de cet hôtel une belle structure. Son action de grand chancelier vers les légionnaires étrangers lui a permis de trouver les fonds nécessaires à cette restauration. Par ailleurs, son engagement après des maisons d’éducation de la Légion d’honneur a été remarquable et les soirées musicales organisées à l’hôtel de Salm laissent un souvenir impérissable.
Le vide s’est ouvert devant lui lorsqu’il quitta la Grande Chancellerie. Il avait beaucoup apporté aux maisons d’éducation de la Légion d’honneur et renforcé leur renommée. Plus rien si ce n’est le vide d’une vie de retraite, peu anticipée. Ce ne pouvait pas être un final pour cet homme d’action. Solitaire, et même discret malgré les apparences, généreux et ouvert, il cherchait sans cesse le sens de son action, et comme tous, il doutait et s’inquiétait. Sa maman était l’objet de ces inquiétudes, de même que la maison de famille d’Aspet, qu’il se faisait un devoir de conserver. Il ne s’ouvrait de ces difficultés que rarement et uniquement à quelques amis.
C’est alors que contre toute attente, il est appelé à l‘âge de la retraite à prendre en charge le chantier de reconstruction de Notre-Dame de Paris. En coordonnant son sens du commandement, de l’organisation et de la planification avec sa foi et l’image qu’il se faisait de la « cathédrale de France », il s’est donné complètement à cette mission. Toujours en marchant, il se rendait à Notre-Dame depuis son appartement de Courbevoie, comptant à cette occasion le nombre de pas nécessaires pour entretenir ses jambes fatiguées, qui avaient eu recours à la pose de prothèses des hanches.
Son sens du devoir, son engagement, son autorité et sa foi lui ont permis de réussir ce chantier hors norme, dont malheureusement il ne verra pas l’achèvement, et dont il tirait une légitime fierté. Le destin a voulu que, lui qui n’a jamais pu se faire à la conduite automobile, lui qui a risqué cent fois sa vie au volant, nous quitte dans ce qu’il savait faire : marcher. Son rire tonitruant et son verbe haut et chaleureux se sont éteints à jamais dans ces montagnes Pyrénées, dont il affirmait qu’elles lui apportaient la sérénité.
Michel Lagrange.